L'archéologie des fleuves, qui tente de restituer l'histoire d'un cours d'eau et de ses berges, est un domaine en plein développement. Le volume d’Archéologie neuchâteloise 48 constitue un apport important à cette thématique : à partir de l’étude du site de Pré de la Mottaz, fouillé en 1996–1997, Nicole Plumettaz, Daniel Pillonel et Nigel Thew proposent une synthèse des connaissances archéologiques, sédimentologiques et historiques sur le cours de la Thielle.
La rivière s’écoule entre les lacs de Neuchâtel et de Bienne, dans une plaine, ce qui a favorisé une évolution de son tracé par déplacements successifs du cours d’eau, jusqu’à sa canalisation au milieu du 19e siècle. Le comblement plus ou moins rapide des anciens chenaux et le milieu humide ont favorisé la conservation des traces d’occupation.
Un premier volet du travail porte sur l’analyse des vestiges matériels du site de Pré de la Mottaz. Il inclut une étude de sédimentologie, qui retrace les processus de dépôt et d’érosion, d’incision et de comblement des trois chenaux détectés, ainsi qu’une étude palynologique proposant une approche du paysage végétal. La présentation des vestiges archéologiques suit l’ordre chronologique. Le chenal le plus ancien mis au jour comporte deux phases d’activité durant l’âge du Bronze. Le deuxième chenal, actif entre le 8e et le 11e siècle, comporte des aménagements probablement en lien avec un habitat de type seigneurial. Deux phases d’activité ont été décelées dans le chenal le plus récent (3), qui regroupe la majorité des vestiges. Un moulin hydraulique à roue verticale en dessous appartient à la première phase, située entre la fin du 9e siècle et le début du 11e siècle. La seconde phase, qui se situe dans la première moitié du 12e siècle, comprend l’installation de deux pêcheries successives dont la seconde, en V, est particulièrement bien conservée. Des aménagements de berge viennent compléter ces dispositifs. Les bois ouvragés des chenaux 2 et 3 forment un corpus de 2400 pièces qui font l’objet d’une analyse typologique et technique approfondie.
Un chapitre est consacré à trois autres sites localisés dans la zone de l’exutoire de la Thielle. Le site de Marin-Epagnier NE-La Directe (fouilles de 1908) a livré une installation de pêche du haut Moyen Âge, caractérisée par une forme trapézoïdale. Le site de Thielle-Wavre NE-Bas de la Poissine (fouilles de 1980) a mis au jour une pêcherie fixe en V datée par dendrochronologie des 13e et 14e siècles. Cet ouvrage se trouve à peu de distance du site de Thielle-Wavre/Bois de Montmirail où ont été découverts en 1967 un établissement médiéval comprenant des vestiges de maisons et divers aménagements dont certains sont probablement aussi liés à une pêcherie.
Le second volet de la recherche est consacré aux sources historiques et à leur confrontation avec les autres données à disposition. Dans la plaine de la Thielle, les documents d’archives mentionnent dès le 12e siècle des aménagements fluviaux et, à partir des 16e et 17e siècles, des cartes et des plans figurent le tracé de la rivière et la situation de certains dispositifs. La toponymie est également prise en considération puisqu’elle permet d’identifier des noms de lieux antérieurs à l’an mil. L’histoire de la plaine de la Thielle est abordée à travers divers aspects : évolution du tracé du cours d’eau, aménagements et exploitation (moulin, pêche, exploitation des terres, passages transversaux, navigation), occupation de la plaine et, enfin, organisation territoriale.
En dernier lieu, les aménagements découverts à Pré de La Mottaz qui couvrent une période de quatre ou cinq siècles sans discontinuité sont confrontés aux données historiques, ce qui permet aux auteur e s de poser l’hypothèse que le site de La Mottaz, au nom évocateur, est un site castral et que le moulin et les pêcheries mis au jour sont des installations seigneuriales.
Le volume papier est accompagné d’un CD-ROM qui comporte des compléments aux études présentées (plans, stratigraphies, palynologie, calcéologie, vues et plans historiques), ainsi que des dossiers annexes (étude dendrochronologique, archéologie médiévale de la 2e Correction des eaux du Jura sur la Broye inférieure et la Thielle moyenne, recherche sur la pêche dans le lac de Neuchâtel et les bassins voisins du Moyen Âge au 20e siècle).
La publication de Nicole Plumettaz, Daniel Pillonel et Nigel Thew est un travail très riche, qui présente l’avantage de considérer le plus grand nombre de sources à disposition. Cette étude est une belle démonstration de la nécessité de l’interdisciplinarité : seule la combinaison des analyses archéologiques, sédimentologiques et dendrochronologiques a permis d’interpréter ce site complexe. On peut à ce titre regretter que le volume papier ne comporte pas un chapitre résumant les problèmes de datation rencontrés, à savoir que la dendrochronologie n’a pas permis de donner des datations absolues. Cela aurait permis en outre d’exposer plus en détail la méthode utilisée pour l’interprétation des vestiges et l’identification des chantiers et des phases par le croisement des datations au radiocarbone et des données dendrochronologiques, sédimentologiques et archéologiques. Enfin, les sources documentaires procurent des informations d’ordre juridique, social et économique, bien différentes de ce que fournit l’archéologie, pour un résultat qui dépasse largement l’addition de l’apport de chacune des disciplines.
Zitierweise:
Valentine Chaudet: Rezension zu: Plumettaz, N./Pillonel, D./Nigel, T., Aménagements fluviaux de La Thielle au Moyen Âge. Pêcherie et moulin de Pré de la Mottaz. Archéologie neuchâteloise 48. Hauterive 2011. Zuerst erschienen in: Jahrbuch Archäologie Schweiz, Nr. 97, 2014, S. 289-290.